Le couperet est tombé, Le Seigneur des Anneaux : Gollum est officiellement le pire jeu de 2023 d’après les notes de la presse. Un échec flagrant auquel nous pouvons trouver quelques éléments de réponses.
Entre la sortie de The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom, celle imminente de Diablo IV et les titres annoncés lors du PlayStation Showcase 2023 de Sony, Le Seigneur des Anneaux : Gollum a eu énormément de mal à attirer l’attention sur sa sortie, le 25 mai 2023. Si l’adage dit que la réussite se chargera de faire le bruit, force est de constater que c’est l’échec de Daedalic Entertainment et Nacon qui les a mis sur les devants de la scène médiatique…
Des prémisses loin d’être optimales
En termes de déception dans l’industrie du jeu vidéo, le cas de Cyberpunk 2077 nous vient quasi automatiquement. Tout simplement parce que rien dans les trailers, gameplays ou previews ne laissait présager un jeu aussi éloigné des ambitions et promesses des développeurs. Néanmoins, le cas de Le Seigneur des Anneaux : Gollum donnait des indices sur un potentiel échec, à commencer par le pitch de départ.
Eh oui, faire du personnage anti-charismatique qu’est Gollum, un héros de jeu vidéo, est un choix très risqué en soi. Ce dernier a vécu dans une grotte pendant des centaines d’années, et s’illustre dans la saga par des actes de trahison, des vols et des meurtres. Sans compter son apparence peu charmeuse, il serait difficile de se voir l’incarner lorsque des personnages comme Aragorn ou Gandalf auraient largement été plus appréciés. Cette prise de risque au niveau du concept même se décline également dans le studio qui s’est engagé dans l’aventure.
Il s’agit de Daedalic Entertainment, né en 2007 en Allemagne. Le studio et éditeur de jeux vidéo s’est fait un nom dans l’industrie en développant des jeux d’aventures narratifs. Parmi son catalogue, nous trouvons plusieurs point & click qui ont eu leur popularité. Entre autres, Deponia (une aventure haute en couleur) ou Ken Follett’s The Pillars of the Earth (une adaptation du roman éponyme de Ken Follett). Avec ce genre de jeux très appréciés du public, vous l’aurez compris, Daedalic excelle par son approche originale de la narration couplée à l’élaboration d’expériences captives et immersives.
Alors nous imaginons bien que passer du développement de ce style de jeux au développement d’un jeu de plateforme/d’infiltration en 3D avec un budget serré n’était pas une mince affaire, comme le montre les divers reports durant le développement. Considérons donc le rôle qu’a pu jouer l’éditeur Nacon dedans, en le rachetant durant le développement du titre.
Un éditeur non compatible avec le projet ?
Aux côtés de Daedalic Entertainment, nous retrouvons le nom de Nacon. L’entreprise est connue pour proposer une large gamme d’accessoires de jeu pour consoles de salon, PC et mobiles. Vous êtes sûrement déjà tombé sur leurs manettes, volants de course, ou casques audios visant à améliorer l’expérience de jeu des joueurs. Mais à côté de cela, Nacon est également impliqué dans l’édition de jeux vidéo. Ce dernier collabore avec des studios pour créer et publier des jeux. Son champ d’action s’étend essentiellement aux jeux de sports (Tour de France 2023, Tennis World Tour) de courses (WRC Generations, RiMS Racing) et de simulations (Chef Life: A Restaurant Simulator, Hunting Simulator 2). Alors en voulant acquérir un studio comme Daedalic Entertainment, nous devinons que cette action s’inscrit dans un projet économique bien rodé.
Effectivement, dans une campagne de diversification afin de renforcer sa position dans le marché du jeu vidéo, la filiale de Bigben Interactive entreprend une ambitieuse campagne de rachat de studios pour mettre en place son label de jeux indépendants. Nous assistons notamment à celui d’Ishtar Games le 8 octobre 2021. Puis en l’espace de deux semaines, la firme s’offre le studio français à l’origine d’Edge of Eternity, Midgar Studio (7 février 2022) ainsi que Daedalic Entertainment (17 février 2022). Ce dernier représente l’opération la plus onéreuse de l’histoire de l’éditeur, 53 milliards d’euros ayant été mobilisés pour la transaction. Leur communiqué annonce clairement ses ambitions avec le studio et éditeur de jeux indépendants :
“Cette transaction permettra à Nacon d’acquérir plusieurs propriétés intellectuelles clés et de bénéficier de la remarquable expertise de Daedalic Entertainment en matière d’édition et de développement de jeux. L’intégration au sein du groupe Nacon permettra au studio de renforcer son équipe de développement et sa position d’éditeur indé de premier plan. Grâce à cette acquisition stratégique, la plus importante jamais réalisée par l’entreprise, Nacon renforce sa position de leader des jeux AA et bénéficie des synergies entre les deux maisons d’édition aux profils complémentaires pour solidifier sa position de marque leader dans le domaine du jeu.”
Le Seigneur des Anneaux : Gollum doit alors assumer un rôle primordial, puisqu’il est censé être l’un des porte-étendards de ce changement de direction. Nous pouvons le voir en visionnant le Nacon Connect du 9 mars 2023, où le jeu conclut le livestream aux côtés de RoboCop : Rogue City. Mais cette volonté est-elle compatible avec le studio qui travaille dessus ? Nous pourrions facilement spéculer sur Nacon voulant faire de Gollum un jeu bien plus ambitieux qu’il ne devait l’être au départ. D’où les multiples reports afin d’offrir “la meilleure expérience qui soit”. Les différentes previews écrites par la presse avant la sortie du jeu n’étaient pas optimistes, jeuxvideo.com le qualifiant « d’inquiétant » à deux mois de sa sortie. Malheureusement, Le Seigneur des Anneaux : Gollum a confirmé ces impressions…
Des conséquences lourdes
Lorsque les premiers tests du jeu arrivent, les avis sont unanimes. Nous assistons à un florilège de critiques, et The Guardian ouvre ce bal avec la note de 1 sur 5. Le journal britannique le décrit comme « un jeu d’action-aventure furtif dérivé, sans intérêt et fondamentalement défectueux qui ne capture rien d’intéressant de la fiction de Tolkien », rien que ça. De son côté, GameSpot lui accorde un 2 sur 10, regrettant une aventure « antipathique et tragique à l’image de son protagoniste ». Enfin, Hardcore gamer attribue la note de 2 sur 5. Bien que le scénario « captivant » met bien en valeur la dualité Smeagol/Gollum habitant l’étrange créature, le site n’a pu lui trouver une seconde qualité.
Du côté de la France, il y a un peu plus de clémence incarnée par Gameblog. Le site ne cache pas sa déception en accordant la note de 4 sur 10. L’axe de critique principal étant le manque d’epicness dans l’aventure, le comble pour un jeu basé sur l’univers culte Le Seigneur des Anneaux. Le jeu n’est clairement pas à la hauteur comparée aux standards actuels, sans oublier les nombreux bugs et plantages qui laissent penser que nous sommes face à un produit inachevé. Toutes ces critiques lui valent un metascore de 41/100 sur Metacritic, faisant de lui le pire jeu de l’année. Face à cette vague de polémique, Daedalic Entertainment a tenu à présenter ses excuses via un communiqué :
Notons que pas mal de développeurs ont tenu à soutenir le studio publiquement après cette débâcle, dont Josh McKellan (directeur de Silent Hill : Townfall). Ce dernier déclare que « Personne ne veut sortir un mauvais jeu, et il y a des milliers de raisons pour lesquelles cela peut arriver qui sont hors du contrôle de quiconque. Tout ce que vous pouvez faire, c’est en tirer des leçons ». De son côté, Nacon n’a rien communiqué et se fait d’ailleurs bien discret depuis la polémique…
Quoi qu’il en soit, le tandem serait déjà sur le prochain jeu de la franchise Le Seigneur des Anneaux. En espérant que cette mauvaise expérience leur soit bénéfique et qu’ils apprennent de leurs erreurs…
Auteur: Dramsey
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